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Pourquoi les femmes sont-elles plus sensibles au froid que les hommes ?

La crise énergétique et les appels à la sobriété pour l’hiver 2022-2023 ont mis au premier plan les débats sur la température de confort. Tandis que le gouvernement invite, depuis la rentrée, à ne pas dépasser les 19 °C dans les bureaux et les habitations, une évidence est venue se rappeler à tous : nous ne sommes pas tous égaux pendant les périodes de basses températures.
L’intuition selon laquelle les femmes sont plus sensibles au froid que les hommes est en effet confirmée par de nombreuses études scientifiques. La température ambiante idéale se situerait, selon les diverses recherches, entre 22 °C et 24 °C chez les hommes contre 24,5 °C et 26 °C chez les femmes. Si le chiffrage diffère, le constat reste identique : il y aurait environ deux degrés de différence de confort entre les deux sexes.
Ces inégalités de ressenti dépendent de multiples facteurs, comme l’âge, l’état de stress, de fatigue, le métabolisme et l’état hormonal, explique Dimitra Gkika, maîtresse de conférences en physiologie à l’université de Lille.
La thermogenèse (mécanisme d’augmentation de la température interne) et la thermosensation (captation de la température extérieure) peuvent ainsi toutes deux fluctuer sous l’effet des hormones. « Nous avons fait l’expérience sur des souris et des rats, raconte la chercheuse. Quand on leur enlevait la testostérone, par castration, les mâles devenaient plus frileux. Et lorsqu’on leur redonnait la testostérone, ils récupéraient la thermosensation initiale : ils étaient moins sensibles au froid. »
La testostérone inhibe la protéine-canal TRPM8 qui capte le froid ambiant par des terminaux nerveux sous la peau
Les scientifiques ont démontré que la testostérone inhibait la protéine-canal TRPM8 qui capte le froid ambiant par des terminaux nerveux sous la peau. Ainsi, le taux de cette hormone dans l’organisme masculin va déterminer la thermosensation. Ce phénomène explique pourquoi les hommes âgés ressentent davantage le froid que les jeunes hommes, le taux de testostérone baissant avec l’âge.
A l’inverse, chez les femmes, l’œstrogène épaissit sensiblement le sang, qui ne circule pas aussi facilement jusqu’aux extrémités. Une étude de l’université de l’Utah montrait, en 1998, que la température des mains était plus basse de 1,6 °C chez les femmes que chez les hommes. L’œstrogène influe également sur le noyau suprachiasmatique, une partie de l’hypothalamus qui contrôle la thermorégulation.
Par ailleurs, la libération de progestérone durant l’ovulation participe au réchauffement de la température interne de l’ordre de 0,3 °C à 0,7 °C, rendant le corps des femmes plus sensible au froid extérieur. Un phénomène similaire s’observe chez les femmes ayant recours à la pilule contraceptive.
Il existe, par ailleurs, des explications mécaniques à cette différence de sensibilité : les masses musculaires (qui génèrent de la chaleur) et graisseuses (qui n’en génèrent pas), influent sur le ressenti face à la température. Or les femmes ont en moyenne moins de masse musculaire. A l’inverse, la couche graisseuse qui sépare les muscles de la peau, naturellement plus froide, est plus épaisse chez les femmes.
Le taux métabolique féminin, c’est-à-dire la quantité d’énergie brûlée par le corps au repos, est également plus bas que celui des hommes en dessous de 20 °C, a observé une étude chinoise de 2021. Autant de facteurs qui peuvent expliquer des différences statistiques de ressenti, avec d’importantes variations au niveau des individus.
Cette propension des individus de sexe féminin à trouver leur confort dans une ambiance plus chaude que leurs congénères masculins pourrait s’expliquer par la biologie évolutionnaire. Ce décalage se retrouve chez de nombreux oiseaux et mammifères endothermes (qui produisent leur chaleur corporelle), relève une étude zoologique israélienne de 2011.
Parmi leurs différentes hypothèses, les auteurs avancent que les femelles ont davantage besoin de protéger les nouveau-nés des températures basses, et que l’évolution naturelle a favorisé les femelles moins à même de mettre en danger leur jeune progéniture en l’exposant à des températures trop rudes.
Pour autant, gare à ne pas réduire la supposée frilosité féminine à une pure question biologique. L’inconfort plus prononcé des femmes en hiver découle aussi de choix de société, notamment de normes thermiques pensées par des hommes pour des hommes.
Des chercheurs néerlandais ont observé en 2015 que les appareils de climatisation les plus répandus ont pour public cible un homme d’une quarantaine d’années, pesant environ 70 kg. « Cela surestime le taux métabolique des femmes de 20 % à 30 % en moyenne », expliquait au Telegraph l’un des auteurs de l’étude, Boris Kingma, du Centre médical universitaire de Maastricht, aux Pays-Bas.
« La notion actuelle de confort thermique est centrée sur les hommes, mais c’est un problème plus général dans la science », explique le Dr Gkika
Ainsi, la température idéale dans les bureaux est fixée arbitrairement entre 20 °C et 21 °C, quand celle-ci se situerait plutôt aux alentours de 25 °C pour les femmes. Les auteurs plaidaient pour un nouveau système de calcul du confort thermique qui tienne compte des différences entre les sexes, mais aussi de l’âge et des caractéristiques physiologiques, telles que la maigreur ou l’obésité.
« La notion actuelle de confort thermique est centrée sur les hommes, mais c’est un problème plus général dans la science, remarque Dimitra Gkika. Dans beaucoup d’études, par exemple pour développer des médicaments, les tests sont basés sur l’organisme masculin. Mais depuis quelques années la communauté scientifique semble avoir pris conscience de ce problème. »
Le décalage entre les hommes et les femmes en matière de confort signifie-t-il qu’il est impossible de trouver une température qui convienne à tout le monde ? Pas forcément. En 1972, trois chercheurs scandinaves ont réalisé une étude dans deux classes de lycées. « Pour une population mixte, la température “optimale” est celle où la proportion de filles ayant trop froid est égale à la proportion de garçons ayant trop chaud », expliquaient-ils. « Ce point se situe dans les données actuelles à 24,3 °C, température à laquelle 16 % des filles avaient trop froid et 16 % des garçons avaient trop chaud », concluait l’expérience. Les scientifiques rappelaient aussi qu’il est plus facile de se vêtir en cas de froid que de se dévêtir si l’on a trop chaud.
William Audureau et Romain Geoffroy
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